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Sabine Germain
Vers une vraie complémentaire santé pour les fonctionnaires
Comme dans le privé, les agents des trois fonctions publiques pourront compter sur une couverture santé obligatoire. Restent tout de même bien des obstacles à surmonter…
L’ordonnance a été présentée en Conseil des ministres le 17 février : les 5,5 millions d’agents de la fonction publique devraient bénéficier d’ici à 2026 d’une protection sociale complémentaire co-financée par leur employeur à hauteur de 50 % pour la complémentaire santé et, dans la seule fonction publique territoriale, 20 % pour la prévoyance qui couvre les arrêts de travail et les risques lourds (invalidité, décès…). Enfin ! serait-on tenté de dire après des années d’atermoiements.
« L’Education nationale finance royalement nos complémentaires santé à hauteur de 3 euros par an, ironise Stéphane, professeur des écoles en région parisienne. Pour protéger ma famille, j’ai préféré souscrire un contrat auprès d’un assureur privé. » Les trois inspections1 missionnées en décembre 2018 par le gouvernement pour formuler « un diagnostic et des recommandations sur la protection sociale complémentaire dans les trois fonctions publiques » sont arrivées à la même conclusion : leur rapport, remis en juin 2019, préconise une augmentation de la participation de l’Etat, une individualisation et une modulation des garanties en fonction de critères sociaux ainsi qu’un renforcement des garanties de prévoyance.
La participation financière de l’Etat est une demande récurrente de la Mutualité fonction publique (MFP) : l’organisme portant la voix de 18 mutuelles de fonctionnaires a publié fin 2020 un « Plaidoyer pour une réforme ambitieuse » plaçant « l’équité, la solidarité et l’attractivité » au cœur de ses 18 propositions. « Les agents publics passent pour des nantis alors que leur protection sociale est peu ou pas financée par leur employeur », explique son président Serge Brichet, chiffres à l’appui. Dans le secteur privé, la complémentaire santé des salariés doit être financée au moins pour moitié pour les employeurs qui bénéficient de 244 euros d’aides sociales et fiscales sur les 740 euros que leur coûte cette participation.
Le raté des référencements
Dans le secteur public, les situations varient considérablement d’une administration à l’autre : la participation de l’employeur va de zéro euro par an au ministère de l’Intérieur ou dans la fonction publique hospitalière – les agents pouvant bénéficier de soins gratuits, en théorie du moins, car tous les établissements publics de santé ne les accordent pas –, jusqu’à 120 euros par an au ministère des Affaires étrangères. Dans la fonction publique territoriale, 56 % des collectivités participent à la complémentaire santé de leurs agents pour un montant moyen de 17 euros par mois.
Dans les fonctions publiques territoriales et d’Etat, ces chiffres – déjà peu flatteurs – ont eu tendance à baisser en 2016, avec la deuxième vague de référencement. Ce dispositif instauré en 2005 permet à chaque administration de référencer pour une durée de sept ans un ou plusieurs organismes de complémentaire santé. « Les deux mutuelles référencées par le ministère des Solidarités et de la santé (MGEN et MGAS) ne sont vraiment pas intéressantes, explique Philippe, qui y travaille depuis plus de 20 ans. Les offres qui nous sont proposées sont, à garanties équivalentes, plus chères que celles du marché. »
Le rapport des trois corps d’inspection explique très bien pourquoi : « La deuxième vague de référencement des organismes complémentaires pour les agents de l’Etat (2017-2018) s’est caractérisée par une concurrence accrue, qui a fortement fragilisé le dispositif. L’équilibre économique des offres déjà référencées a été mis à mal, cependant que des organismes nouvellement référencés ont concentré leur recrutement sur de jeunes actifs. Le choix fait par la moitié des ministères de référencer plusieurs organismes a réduit la mutualisation des risques, déjà̀ fragile du fait du caractère facultatif de l’adhésion. Alors que 7 actifs sur 10 adhéraient à une offre référencée en 2017, ce chiffre s’est effondré en 2019. » Or, la mutualisation des risques est le fondement de l’assurance.
Inéquité entre public et privé
Avant 2017, seulement la moitié des salariés du privé étaient couverts par une complémentaire santé co-financée par l’employeur. Depuis que cette couverture est obligatoire et financée pour moitié par l’employeur, l’absence de protection des agents publics est devenue encore plus criante. C’est pourquoi Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des Comptes publics, a mis le sujet sur la table dès 2017. Sa proposition n’était alors pas dénuée d’arrière-pensées, le renforcement de la protection sociale des fonctionnaires étant destiné à adoucir l’annonce du rétablissement du jour de carence…
Il a tout de même fallu attendre août 2019 pour que la loi de Transformation de la fonction publique annonce que le renforcement de la protection sociale complémentaire des agents se fera par la voie d’une ordonnance spécifique. Cette ordonnance a été présentée en décembre dernier par Amélie de Montchalin, l’actuelle ministre de la Transformation et de la Fonction publique. Elle reprend les grandes lignes du texte présenté le 18 janvier aux partenaires sociaux lors du Conseil commun de la fonction publique et adopté par 15 votes « pour » et 15 absentions.
« Nous nous sommes abstenus car notre mandat, entre autres, est de défendre la prise en charge à 100 % des frais de santé par la Sécurité sociale », explique Hervé Moreau, secrétaire national du Snes-FSU, responsable du secteur protection sociale. Si renforcement des complémentaires santé il doit y avoir, « Nous nous opposerons au principe de l’adhésion obligatoire et nous défendrons la solidarité entre actifs et retraités. »
Ces positions sont aussi bien défendues par les partenaires sociaux que par la MFP : « Nous sommes réticents à l’égard du principe de l’adhésion obligatoire, explique Serge Brichet. Mais nous n’en faisons pas un dogme : si les contrats collectifs proposent des garanties réellement couvrantes en santé et en prévoyance et s’ils embarquent les retraités, nous sommes prêts à l’accepter. »
2021, année de négociations
L’ordonnance présentée en Conseil des ministres ne répond pas vraiment à ces aspirations. Elle prévoit qu’à compter du 1er janvier 2022, un employeur public pourra, tout comme les entreprises, souscrire un contrat collectif à adhésion obligatoire si un accord majoritaire est adopté par les partenaires sociaux, Une ordonnance concernant la négociation et les accords collectifs dans la fonction publique devra être adoptée d’ici là.
Au 1er janvier 2025, les collectivités territoriales seront tenues de financer 20 % de la couverture complémentaire obligatoire en prévoyance. Le co-financement de la prévoyance reste donc facultatif dans les fonctions publiques hospitalière et d’Etat. Enfin, au 1er janvier 2026, toutes les fonctions publiques (territoriale, hospitalière et d’Etat) devront prendre en charge 50 % de la couverture complémentaire santé.
L’année 2021 va donner lieu à d’intenses négociations entre employeurs publics et partenaires sociaux. On peut d’ores et déjà identifier les principaux points de crispation : les modalités de mise en concurrence des organismes complémentaires, le niveau des garanties minimales (qui devrait être calqué sur le panier de soins proposé aux salariés du privé), les différents dispositifs de solidarité et surtout, l’absence de financement des garanties de prévoyance complémentaire ainsi que la non prise en charge des retraités. Exactement comme dans le privé.
Sauf que le secteur public a une particularité : au-delà de 90 jours d’absence sur un an pour cause de « maladie ordinaire », la rémunération des agents passe à mi-traitement. Sans garanties de prévoyance complémentaire, ils perdent donc la moitié de leur rémunération.
Quant aux retraités, ils ont toujours été couverts par les mutuelles de la fonction publique avec, sauf rares exceptions, « des barèmes de cotisation qui, contrairement aux complémentaires santé du secteur privé, n’augmentent pas avec l’âge et l’accroissement des besoins de santé, insiste Serge Brichet. Nous sommes très attachés à ce principe de mutualisation inter-générationnelle. »
Les négociations qui ne font que commencer devraient très vite tomber sur un os : combien l’Etat est-il prêt à payer pour financer cette nouvelle protection sociale ? En 2018, pour la seule fonction publique d’Etat, il avait contribué à hauteur de 28 millions d’euros. Avec la réforme, l’addition passerait à 1,3 milliard. A laquelle il faudra rajouter ce que devront payer les hôpitaux et les collectivités territoriales pour leurs agents.
1.Inspections générales des affaires sociales (IGAS), des finances (IGF) et de l’administration (IGA).