Mis à jour le 21 décembre 2023Les fragilités, Psychique

Femmes au front du travail social : entre héroïsme, violences et crises

La 14e édition du Baromètre Santé au travail réalisé par l'institut IPSOS et publiée le 21 septembre 2023, offre un aperçu préoccupant de la santé psychologique des femmes au sein de l'environnement professionnel. Alors que la satisfaction générale des salariés à l'égard de leur travail et de leur qualité de vie semble augmenter, les femmes font face à une détérioration de leur bien-être mental, révèle le rapport.

Les conclusions de l’étude révèlent des points saillants inquiétants

  • 44 % des femmes salariées déclarent une santé psychologique moins favorable, comparé à 32 % des hommes, marquant une dégradation depuis 2022 (40 %).
  • 55 % des femmes salariées souffrent de troubles psychologiques, un pourcentage supérieur aux 45 % des hommes.
  • Le secteur de la santé et du médico-social, où les femmes sont fortement représentées, se distingue comme l’un des secteurs les plus éprouvants physiquement et mentalement, entraînant une augmentation de 10 points du taux d’absentéisme par rapport à 2022.

Bien que la majorité des salariés se déclarent satisfaits de leur travail, avec près de 8 sur 10 exprimant leur contentement, les femmes semblent être plus touchées par des problèmes de santé physique (41 % contre 34 % des hommes) et psychologique (44 % contre 32 % des hommes), malgré un meilleur suivi médical.

L’inquiétude croissante des femmes face à la situation financière de leur foyer et à l’avenir de leurs enfants semble être un facteur significatif dans la détérioration de leur santé mentale. Plus de la moitié des femmes (55 %) ont signalé avoir souffert de divers troubles psychologiques au cours des 12 derniers mois, notamment des troubles de l’humeur, des troubles anxieux, des troubles liés au traumatisme et au stress, ainsi que l’épuisement professionnel.

La surreprésentation des femmes dans des secteurs exigeants physiquement et mentalement, tels que la santé et l’action sociale, souligne la nécessité d’une attention accrue à leurs besoins. Les femmes expriment clairement leur attente d’un soutien psychologique de la part de leur employeur, avec 65 % souhaitant bénéficier d’une assistance en cas de difficultés personnelles ou professionnelles. De plus, 70 % des femmes se disent intéressées par des solutions de gestion du stress, soulignant la nécessité d’initiatives ciblées pour prévenir les risques psychosociaux.

Enfin, le rôle des entreprises est souligné dans ce contexte, avec 30 % des femmes dirigeantes accordant la priorité à la lutte contre les risques psychosociaux au sein de leur organisation, et 24 % offrant un accompagnement psychologique à leurs salariés. Cette dimension met en lumière l’importance croissante d’une approche holistique de la santé mentale au travail.

Comment le travail social a-t-il évolué pour devenir un métier à risque ?

La compréhension des crises qui secouent le monde du travail social nécessite une analyse approfondie des drames récents, tels que les meurtres d’Audrey Adam en mai 2021 dans l’Aube et de Cyril Pierreval, directeur d’un centre d’accueil à Pau en février. Ces événements tragiques, associés à la dénonciation des conditions de travail difficiles des professionnels du secteur, s’inscrivent dans un phénomène ancien.

Le malaise actuel découle en partie de la nature même des métiers du travail social, nés en réponse à des crises sociales et économiques. Historiquement, ces métiers ont été dédiés à l’accompagnement de personnes dépassées par leurs difficultés, qu’il s’agisse d’individus vulnérables exposés à divers risques ou de personnes fragiles en raison de leur propre histoire. Toutefois, cette vulnérabilité touche désormais également les professionnels chargés d’aider ces personnes.

Deux phénomènes récents ont exacerbé le malaise, contribuant à un sentiment de perte totale de reconnaissance sociale. D’une part, les professionnels du travail social font face à des comportements violents de la part des personnes qu’ils accompagnent, et d’autre part, les effets spécifiques de la crise sanitaire liée au Covid-19 ont ajouté une dimension nouvelle à ces difficultés.

L’idée d’un martyrologe du travail social émerge, mettant en lumière les agressions et les drames vécus par ces professionnels. Les listes établies par des travailleurs sociaux, comme Patrick Guichard, témoignent d’une désacralisation de l’héroïsme philanthropique associé aux métiers sociaux. Ces événements remettent en question l’image traditionnelle de ces métiers, souvent qualifiés de « canoniques » en raison de leur ancienneté et de l’encadrement dont ils bénéficient.

Le meurtre récent d’Audrey Adam, conseillère en économie sociale familiale, a suscité une réaction généralisée et a laissé de nombreux travailleurs sociaux dans un sentiment de déperdition, allant au-delà de la simple violence des usagers. En termes de déconsidération, la métaphore militaire et rugbystique de la « première ligne » a également eu des conséquences catastrophiques, reléguant les travailleurs sociaux à une hypothétique « deuxième ligne » dans la lutte contre la pandémie.

Depuis les années 1990, le travail social traverse une crise de légitimité, conduisant à l’adoption d’un Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale en 2013. Cependant, de nouveaux défis émergent, marqués par un décalage croissant avec les politiques publiques, une démobilisation des professionnels et une diminution de l’attrait pour les métiers sociaux.

Les travailleurs sociaux sont confrontés à des pressions croissantes résultant de logiques de rationalisation et de contraintes économiques, avec des conséquences sur leur moral et bien-être, comme décrit dans un rapport de 2005. Cependant, la situation varie considérablement selon les secteurs et les publics cibles.

La crise sanitaire de la Covid-19 a ajouté une couche de complexité, avec des pratiques professionnelles mises à l’épreuve et des réponses diverses des travailleurs sociaux. Certains ont pu améliorer leur image en répondant positivement à la crise, tandis que d’autres ont été confrontés à des dilemmes éthiques et des pertes de repères.

Les conséquences des difficultés rencontrées par les travailleurs sociaux se répercutent sur les personnes accompagnées, entraînant des manifestations de perte de confiance et des tensions dans la relation avec les usagers. La peur semble parfois avoir changé de camp, avec des violences exercées par les usagers envers les professionnels, remettant en question les rapports de pouvoir traditionnels.

En conclusion, cette montée des tensions intervient dans un contexte social et économique préoccupant, marqué par la massification de la pauvreté, le vieillissement de la population, l’isolement social, et d’autres problématiques. Les travailleurs sociaux sont confrontés à de nouvelles interrogations sur le sens de leur engagement, mais il est essentiel de reconnaître leurs ressources internes, telles que les capacités d’innovation, la recherche en travail social, et l’implication dans des formes de solidarité. Face à ces défis, il est nécessaire de valoriser ces potentialités pour renforcer le travail social et son impact positif sur la société.

 

À propos de cet article

Source :
Baromètre santé au travail

Par IPSOS - Malakoff Humanis

Publié le 21/09/2023

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