Mis à jour le 22 février 2024Les fragilités, Physique

Les métiers de l’enseignement en tension

Les enseignants, acteurs essentiels de la société, façonnent l'avenir à travers l'éducation. Cependant, une question cruciale se pose : comment se portent-ils dans leur environnement professionnel ? Laurence Bergugnat, professeur en sciences de l'éducation à l'université de Bordeaux et présidente du réseau des universités pour l'éducation à la santé (UNIRèS), apporte un éclairage précieux sur la santé au travail des enseignants. Après avoir réalisé sa thèse en 2004 sur le stress des enseignants à l'école primaire, Laurence Bergugnat a continué à explorer les défis rencontrés par les débutants dans le métier. Actuellement, elle dirige un projet scientifique sur la promotion de la santé au travail des jeunes en formation professionnelle, en collaboration avec les enseignants et les partenaires du monde du travail.

Insatisfaction professionnelle : une réalité alarmante

Selon une enquête du ministère de l’Éducation nationale, les enseignants du public et du privé sous contrat, tous niveaux confondus, affichent une satisfaction professionnelle inférieure à la moyenne des Français en emploi. Les enseignants du premier degré, bien que percevant leur métier comme enrichissant et épanouissant, se plaignent d’une charge de travail excessive et de conditions d’exercice difficiles, couplées à un manque de reconnaissance.

Une situation française dégradée comparée à d’autres pays

L’étude comparative menée par le Réseau Éducation et Solidarité révèle que, parmi les 11 pays participants, les enseignants français se distinguent par une qualité de vie au travail dégradée. La France, tout comme la Belgique, le Maroc et le Cameroun, affiche des niveaux préoccupants d’anxiété, de dépression et de désespoir chez les enseignants, associés à un sentiment de stress élevé.
Ces résultats inquiétants sont accentués par l’absence quasi inexistante de médecine du travail et des perspectives d’évolution limitées, particulièrement en France. Malgré cela, les enseignants aiment travailler dans leurs établissements, où ils se sentent en sécurité et entretiennent des relations positives avec les élèves et leurs collègues. Cependant, ces aspects pourraient évoluer dans le contexte actuel devenu à haut risque.

Laurence Bergugnat souligne l’impact d’une révolution managériale entamée dans les années 2000. Sous l’influence des injonctions de l’OCDE, les enseignants ont dû s’adapter à un modèle centré sur la performance, la reddition des comptes et l’évaluation standardisée. Cette transformation a engendré un stress accru, une pression constante basée sur des indicateurs de performance, et une double injonction pour les professionnels.

Le nouveau discours mettant en avant la performance, l’adaptabilité et la flexibilité a également contribué à une détérioration de la santé mentale des enseignants. « Ces termes positifs, dynamiques, symboles de modernité et de changement, ont un coût élevé pour le psychique des sujets au travail, parce qu’engageant et instrumentalisant leurs subjectivités. »

Déterminants de la santé au travail et pouvoir d’agir

Le concept de pouvoir d’agir, défini par Julian Rappaport, est essentiel dans la préservation de la santé au travail. Les ressources internes et externes, permettant aux individus et aux communautés de contrôler les changements qui les concernent, sont cruciales dans ce contexte.
La transition vers un modèle de santé positive, axé sur l’amélioration continue, le développement professionnel et le partage des rôles, apparaît comme une solution. Cette approche repose sur la souplesse, la formation continue et le soutien du personnel.

Vivre en bonne santé à l’école : une approche globale

Laurence Bergugnat insiste sur l’importance d’une approche globale de l’environnement de travail pour réduire le stress et protéger la santé mentale et physique des enseignants.
« C’est par une approche globale […] de l’environnement du travail que les collectifs de professionnels dans les établissements scolaires peuvent œuvrer à la réduction du stress et à la protection de leur santé mentale et physique. »
Il s’agit de maintenir et développer les ressources existantes, tant psychosociales que matérielles et organisationnelles, pour favoriser un épanouissement professionnel. Cette approche écologique invite les collectifs de professionnels à remettre en question les pratiques ordinaires, à détecter les dysfonctionnements et à agir collectivement sur les situations nocives.

Les leviers d’action pour les pouvoirs publics

Pour répondre à l’exigence de la promotion de la santé au travail, Laurence Bergugnat souligne la nécessité de construire un droit de la santé au travail dans la fonction publique. « Le droit est vecteur de justice sociale. Il permet de protéger sa santé et celle des autres dans le champ du travail, chacune et chacun dans l’exercice de ses responsabilités. »
Renforcer la médecine du travail en tant qu’acteur de prévention, améliorer les conditions du pouvoir d’agir structurel, et favoriser l’empowerment individuel sont autant de leviers à activer.
La santé des enseignants est un enjeu majeur pour le bien-être de la société dans son ensemble. Construire un environnement de travail favorable, reconnaître les besoins spécifiques de ces professionnels et agir sur les déterminants de la santé au travail sont des étapes essentielles pour garantir un système éducatif solide et des enseignants épanouis.

 

À propos de cet article

Source :
Autonome Solidarité Laïque

Publié le 16/11/2023

Accéder à la source