Un rejet transversal : des classes populaires aux élites
La défiance envers les fonctionnaires ne se limite pas à un seul groupe social. Elle traverse toute la société, se manifestant différemment selon les milieux. Dans les classes populaires, elle s’exprime par une frustration croissante face à des services publics jugés inefficaces ou inaccessibles. L’usager perçoit souvent le fonctionnaire non pas comme un allié, mais comme un obstacle. Ainsi, un motard accidenté peut reprocher à l’État le mauvais entretien des routes, les longues attentes aux urgences et l’absence de réponse rapide, attribuant aux agents publics la responsabilité de ses souffrances.
Dans les sphères politiques et économiques, les fonctionnaires sont perçus avant tout comme un coût à réduire. Depuis quarante ans, les politiques néolibérales ont fait de la diminution du nombre d’agents un objectif central, imposant une gestion managériale fondée sur la rentabilité immédiate. Paradoxalement, au sein même de la Fonction publique, un sentiment d’impuissance et de mal-être grandit. Confrontés à des restructurations, à des réductions de moyens et à des pressions administratives croissantes, de nombreux agents en viennent à détester leur propre rôle, incapables d’accomplir pleinement leur mission.
Un saccage organisé de la Fonction publique
Cette hostilité envers les fonctionnaires n’est pas spontanée, mais résulte d’un projet politique de démantèlement des services publics. La réduction des budgets et des effectifs entraîne une surcharge de travail et une dégradation des conditions de service. Dans le même temps, l’externalisation des missions transforme l’usage des fonds publics. Loin de disparaître, l’argent est redirigé vers des cabinets de conseil privés, comme l’illustre le recours massif à McKinsey pour des études que l’administration pourrait réaliser en interne.
Cette logique purement comptable, visant à réaliser des économies à court terme, engendre souvent des coûts plus élevés sur le long terme. L’exemple de l’usage de gravillons plutôt que d’un revêtement durable pour entretenir les routes illustre cette absurdité : bien que moins cher immédiatement, ce choix entraîne des réparations fréquentes et une augmentation du nombre d’accidents.
Une souffrance généralisée chez les agents publics
Le livre met en lumière la réalité du travail des fonctionnaires, bien loin du stéréotype du « planqué ». Dans la Fonction publique hospitalière, les soignants sont en sous-effectif chronique, soumis à des cadences infernales qui affectent directement leur santé mentale. Ce malaise touche aussi d’autres professions : assistantes sociales, enseignants, agents administratifs, tous confrontés à des lourdeurs bureaucratiques et à un manque de moyens les empêchant d’exercer pleinement leur mission.
L’épuisement professionnel s’accompagne d’une exposition croissante aux violences. Frustrés par un système défaillant, certains usagers laissent exploser leur colère contre les agents, allant jusqu’à des agressions verbales ou physiques. Cette dégradation des conditions de travail alimente une spirale de mal-être et de désengagement.
Quel avenir pour le service public ?
Face à ce constat alarmant, les auteurs plaident pour une reconstruction des services publics et une réconciliation entre fonctionnaires et citoyens. Ils prônent un réinvestissement massif afin de redonner aux agents les moyens d’accomplir efficacement leur travail, tout en revalorisant leur rôle essentiel dans la société. Restaurer le dialogue avec les citoyens apparaît également comme une nécessité, notamment à travers des concertations locales et une meilleure transparence sur les contraintes du service public.
Ce livre souligne l’urgence d’un sursaut collectif. Au-delà du sort des fonctionnaires, c’est toute la société qui subit les conséquences du démantèlement de la Fonction publique. Fermer les yeux sur cette réalité, c’est accepter le risque d’un affaiblissement durable du lien social et de la cohésion nationale.
Pour aller plus loin : La Sagesse du Fonctionnaire, Hervé Boullanger.