Mis à jour le 4 mars 2025Éthique, Les fragilités

Cinq ans après, le choc du Covid encore visible sur le système de santé français

Activité hospitalière en berne, crise du recrutement, déficit financier abyssal : cinq ans après la pandémie, le système de santé français porte encore les stigmates du Covid-19. Malgré la résilience dont il a fait preuve, les failles structurelles mises en lumière par la crise n'ont pas été suffisamment corrigées.

 

Porté par l’envie de de rétablir une certaine vérité sur les métiers de la Fonction publique, Hervé Boullanger a lu tous les livres publiés ces dix dernières années par des fonctionnaires qui faisaient le récit de leur métier. Dans un monde où la quête de productivité et d’efficacité domine, le fonctionnaire se distingue par un attachement profond au service public, un engagement à la fois ancré dans l’humilité et l’égalité. C’est ce que souhaite transmettre l’auteur de cet ouvrage, lui-même fort de 35 ans d’expérience dans la fonction publique, un milieu souvent dépeint de manière caricaturale.

Un hôpital public qui peine à retrouver son niveau d’activité

Si les cliniques privées ont retrouvé leur niveau d’activité d’avant-crise dès 2022, l’hôpital public, lui, peine encore à rattraper son retard. Selon la Fédération Hospitalière de France (FHF), plusieurs spécialités connaissent toujours un sous-recours aux soins : chirurgie digestive (-11%), cardiologie (-13%), soins liés au système nerveux (-11%) et greffes (-7,5%) par rapport aux niveaux attendus en 2023.

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la crise sanitaire a entraîné des reports massifs d’opérations et de suivis médicaux. Mais surtout, la reprise a été entravée par un manque criant de personnel. « On a fermé des blocs opératoires pendant le Covid parce qu’il n’y avait plus d’activité (…) et au moment de la reprise, on n’a pas tout rouvert », explique Marc Noizet, président du syndicat Samu-Urgences de France.

Une crise des ressources humaines sans précédent

La pandémie a révélé au grand jour le manque de moyens humains dans les hôpitaux et a nourri, chez les soignants, l’espoir d’une refonte du système. Pourtant, cet espoir a rapidement laissé place à la désillusion. Comme le rappelle Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI (Syndicat national des professionnels infirmiers) : « Lors du déconfinement, les petits gestionnaires sont revenus reprendre leurs plans d’économie là où ils en étaient avant. Ça a été d’une violence terrible ».

Conséquence : une vague de démissions sans précédent. En 2022, la FHF alertait sur 15 000 postes d’infirmières vacants dans les hôpitaux publics (environ 6% du total), un chiffre inédit. Même si la situation s’est légèrement améliorée en 2023, avec un taux de postes vacants ramené à 3%, elle reste préoccupante. Selon les calculs du SNPI, 60 000 postes d’infirmières seraient en réalité vacants dans les hôpitaux publics et privés, si l’on prend en compte les arrêts maladie non remplacés et les burn-out.

Cette crise des effectifs ne touche pas uniquement les infirmiers. En septembre 2023, la FHF estimait qu’il manquait 4 000 praticiens hospitaliers. Dans son « Pacte pour l’hôpital public », publié en octobre 2023, elle plaidait pour une accélération des recrutements et une meilleure attractivité des carrières hospitalières.

Un hôpital asphyxié financièrement

La fuite des soignants a obligé le gouvernement à revoir les rémunérations à la hausse pour tenter de freiner l’hémorragie. En 2020, le Ségur de la Santé a débloqué des revalorisations salariales et des investissements hospitaliers, représentant une dépense supplémentaire de 13,2 milliards d’euros pour l’Assurance maladie en 2023.

Mais ces mesures, bien qu’indispensables, ont creusé le déficit du système de santé. Comme le soulignait la commission des comptes de la Sécurité sociale en octobre 2023, ces dépenses pérennes n’ont pas été compensées par des financements supplémentaires. Résultat : l’Assurance maladie affiche un déficit chronique qui limite les marges de manœuvre pour de nouvelles réformes.

La FHF alerte régulièrement sur la nécessité de repenser le financement des hôpitaux, en abandonnant progressivement la tarification à l’activité (T2A), jugée trop rigide et inadaptée aux réalités du terrain. Elle demande un « budget sanctuarisé », à la hauteur des besoins de l’hôpital public.

Un décloisonnement du système de santé encore trop lent

La crise sanitaire a prouvé qu’une meilleure coordination entre les différents acteurs de santé (hôpitaux, médecins de ville, infirmiers, pharmaciens) était possible. Pendant la pandémie, des coopérations inédites ont vu le jour, facilitant la prise en charge des patients. Pourtant, cinq ans plus tard, cette dynamique semble s’être essoufflée.

Gérard Raymond, président de France Assos Santé, regrette un retour trop rapide aux « anciens corporatismes » : « Au moment du Covid, infirmiers, médecins, pharmaciens, ont su collaborer, se coordonner, mettre en place des consultations à distance… Ils ont montré que c’était possible. Mais aujourd’hui, le partage des compétences ne va pas assez loin, pas du tout assez vite. »

Certaines avancées ont bien été actées, comme l’élargissement du rôle des infirmières de pratique avancée ou encore l’autorisation pour les infirmiers de délivrer certains certificats de décès. Mais pour la FHF, ces mesures restent insuffisantes. Dans son rapport de 2023, elle appelle à un renforcement des coopérations territoriales et à une accélération de la transformation numérique pour faciliter l’accès aux soins.

Un avenir incertain pour l’hôpital public

Cinq ans après le Covid-19, le système hospitalier français est encore en convalescence. La pandémie a été un électrochoc, révélant des failles structurelles que la FHF n’a cessé de dénoncer. Si des mesures ont été prises pour améliorer la situation, elles restent insuffisantes face à l’ampleur de la crise.

Sans une réforme en profondeur du financement des hôpitaux, une revalorisation durable des carrières soignantes et une meilleure intégration entre la ville et l’hôpital, la santé publique française risque de rester sous tension. La question n’est plus de savoir si l’hôpital va tenir, mais combien de temps encore il pourra le faire sans un véritable plan de transformation.

 

 

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Source :
Sciences et avenir

Publié le 19/01/2025

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