Mis à jour le 9 mai 2023Les fragilités, Physique

“La fragilisation des agents s’est traduite par une forme d’anonymie”

Sociologue, spécialiste de la Fonction publique et directeur de recherches à Sciences Po-CEVIPOF ¹, Luc Rouban éclaire nos réalités contemporaines de faits historiques et d’analyses politiques récentes. Il porte un intérêt particulier au temps et aux conditions de travail des agents de la Fonction publique. Son regard sur leurs fragilités est particulièrement éclairant.

Les agents de la Fonction publique sont indispensables à nos vies.

Il faut rappeler le nombre de métiers qu’exercent les fonctionnaires. Des métiers qui relèvent aussi bien de l’État régalien (défense, sécurité, justice…) que de l’État providence (assistance sociale, santé…) sans oublier l’action publique concrète et quotidienne, notamment dans les collectivités territoriales. Historiquement, l’action des services publics ou des ancêtres des services publics, sous des formes plus ou moins privatisées, a été à ce titre tout à fait importante pour organiser non seulement, la société française, mais aussi la géographie française et l’univers normatif des Français. Dans cette volonté de rationalisation et de normalisation, on retrouve deux idées. La première est celle de l’égalité des citoyens. La seconde est celle de la solidarité.

La fragilisation des fonctionnaires est liée à la qualité du dialogue social.

Nous constatons une perte de confiance dans les syndicats. Une perte assez nette, puisque, aujourd’hui, nous n’avons plus qu’un tiers des fonctionnaires qui maintiennent leur confiance dans les syndicats. La qualité du dialogue social est bien inférieure dans le secteur public par rapport aux entreprises privées, et cela, quelle que soit la taille des entreprises considérées.

La fragilisation des agents de la Fonction publique s’est traduite par une forme d’anonymie mais aussi par la dégradation des conditions de travail, avec la multiplication de suicides dans certains secteurs, avec la dégradation des relations avec les usagers, avec des agressions, a minima verbales, qui se sont multipliées, etc. De tout cela est né le sentiment d’abandon.

Les fonctionnaires sont confrontés à une crise de sens dans leurs missions.

On ne voit pas très bien quel est l’horizon à moyen terme de la Fonction publique ou du service public. Depuis un certain nombre d’années, nous sommes plongés dans des préoccupations d’ordre comptable, budgétaire, de réduction des effectifs, de réaménagement des services avec, notamment, la réorganisation extrêmement complexe des services déconcentrés de l’État. La réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) a été très lourde et très difficile à gérer, posant une interrogation de fond sur le rapport entre la Fonction publique territoriale et la Fonction publique d’État. Nous devons admettre que, depuis 1982, nous assistons à une division du travail, qui fait que vous avez une Fonction publique d’employés et d’ouvriers au niveau territorial, et une Fonction publique de cadres au sein de l’État. Vous avez donc une forme de séparation et de distinction sociale qui s’est opérée entre ces deux Fonctions publiques. À mon sens, elle est contraire à l’idée de fluidité ou de mobilité professionnelle entre les secteurs. Dans ces conditions, comment peut-on avoir une vision d’avenir ?

Jusque dans les années 80 et 90, la première source de réflexion et de projection sur la Fonction publique venait des hauts fonctionnaires. Énormément de travaux, de livres et de réflexions sur l’évolution de la Fonction publique émanaient d’eux. Depuis, cela a disparu. Il nous reste donc des interventions plus politiques mais cette réflexion sur le service de l’État, sur le service public et la Fonction publique s’est beaucoup appauvrie.

¹ Centre de Recherches Politiques de Sciences Po Paris.

Entretien réalisé le 4 octobre 2018.

 

À propos de cet article

Source :
MFP Indispensables & fragiles Tome 1

Par MFP

Publié le 09/01/2019

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