La tribune de l’assurance

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La tribune de l’assurance | Louis Johen

Portée par la ministre de la Transformation et de la Fonction publique Amélie de Montchalin, la réforme de la protection sociale complémentaire des agents de la fonction publique a été votée par ordonnance en conseil des ministres le 17 février dernier. Alors que l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2022, de nombreuses questions structurantes restent néanmoins en suspens.

Comme le secteur privé en 2013, la fonction publique se prépare à faire son « ANI » avec une réforme qui va la protection sociale complémentaire de 5,5 millions d’agents répartis dans les fonctions publiques d’État, hospitalière et territoriale. En s’alignant sur le principe de généralisation qui avait prévalu pour le privé, elle consacre la participation financière des employeurs publics dans la couverture santé et prévoyance de leurs fonctionnaires. Mais dans quelles conditions venir bouleverser ? « Le gouvernement a voulu marquer les esprits en déclarant qu’il y avait un vrai pas en avant mais quand on lit l’ordonnance et qu’on met le nez dans les décrets, on peut craindre le danger d’un nivellement par le bas des couvertures actuelles », commente un mutualiste. Ancien dirigeant du Groupement national de prévoyance (GNP) et de la mutuelle Intériale, Nicolas Sarkadi considère pour sa part qu’il s’agit d’une très bonne réforme qui « permet de lever une grosse hypocrisie qui existe dans le système actuel de référencement » dans la mesure où « l’objectif de la plupart des organismes agréés par les ministères est en fait de vendre autre chose que l’offre référencée, qui est la moins rentable ».

PARTICIPATION EMPLOYEUR A 50%.

À partir du 1er janvier 2022, les employeurs des trois fonctions publiques pourront donc, sur le même modèle que le secteur privé, souscrire un contrat collectif obligatoire. Avec, en point d’orgue, une participation employeur qui atteindra 50 % pour la complémentaire santé, selon le fil du calendrier de mise en place progressive établit par les pouvoirs publics. Hasard ou non du calendrier, cette réforme à forte connotation politique s’inscrit en parallèle de l’agenda des élections présidentielles 2022. Un biais difficile à occulter et qui pourrait peser sur les aspects techniques des schémas mis en place. « La protection sociale complémentaire (PSC) des salariés est pilotée et pérennisée techniquement dans le privé car il y a une architecture globale avec notamment un régime spécifique pour les cadres (CCNI de 1947), un délai de carence en arrêt de travail (loi de mensualisation de 1978) ou encore l’absence de la population des retraités dans le pilotage du régime des entreprises, rappelle Nicolas Sarkadi. Serait-il par exemple envisageable de couvrir différemment les agents de catégorie A ? D’instaurer un alignement sur les trois jours de carence du privé au regard des atermoiements politiques sur le seul premier jour, instauré en 2012, supprimé en 2014 puis remis en 2018 ? D’imposer des règles de réfractariat strictes ? »

Des variables qui, selon lui, jouent un rôle essentiel dans la responsabilisation des salariés et l’équilibre du risque indemnités journalières. Mais là n’est pas le point le plus épineux des débats qui ne manqueront pas de se poser ces prochains mois.

QUID DES RETRAITÉS ?

Centrale, la question d’exclure ou non les retraités du régime divise. « Inclure les retraités dans un système généralisé serait en tout cas une hérésie technique et on ne pourra pas régler ce déséquilibre par l’utilisation paradoxale des déficits sur les transferts de solidarité », tranche Nicolas Sarkadi en se demandant si, à l’heure de l’alignement des droits à la retraite, prévoir un régime plus favorable pour la PSC des retraités du secteur public que pour ceux du secteur privé va bien dans le sens de l’histoire. « Cette réforme est une excellente chose sur le plan social et il faudra même aller rapidement plus loin sur la participation employeur de 20 % trop faible sur le risque lourd, mais elle ne tiendra que par l’instauration de règles structurantes qui obligeront à la technique des contrats collectifs obligatoires », poursuit-il.

Une analyse à contre-courant des positions de certaines mutuelles de fonctionnaires. « L’incitation vers la mise en œuvre de contrats collectifs obligatoires réservés aux seuls actifs peut constituer une grave atteinte au modèle de protection sociale dont bénéficient actuellement les agents, modèle construit sur la mutualisation des risques et des personnes (actifs et retraités). Quand on sait que seule la solidarité intergénérationnelle permet de plafonner significativement les cotisations des retraités, la MFP alerte le gouvernement sur les conséquences pour les plus âgés de la mise en œuvre de tels contrats. C’est bien l’accès à la santé et à la prévoyance de ces millions de retraités qui est enjeu dans cette réforme », prévient ainsi la Mutualité fonction publique (MFP). Un enjeu de taille pour les mutuelles de fonctionnaires qui voient dans la perspective de contrats collectifs obligatoires réservés aux actifs, une menace sur les équilibres de leurs portefeuilles. « Nous ne défendons pas des prés carrés », répond Serge Brichet, président de la MFP. « Nous disons qu’il y a des modèles qui existent et qui sont d’autant plus remarquables qu’ils fonctionnent sur le principe d’adhésions facultatives. Nous allons porter ces questions en lien avec les fédérations syndicales de fonctionnaires qui négocient avec le ministère avec la volonté de ne pas accentuer les fragilités des agents publics. C’est essentiel, surtout dans la période que nous vivons », insiste-t-il.

LE DANGER D’ALLER VITE

« Vouloir faire l’ANI des fonctionnaires d’un seul coup de baguette magique est un pari risqué. Les évolutions de la protection sociale du secteur privé se sont construites par strates depuis l’après-guerre et ont permis d’installer des garde fous qui pérennisent le système », estime Nicolas Sarkadi. Selon lui, trois autres points essentiels mériteraient d’être remontés jusqu’en haut du ministère occupé par Amélie de Montchalin : la présence indispensable de conseils en actuariat pour l’établissement des cahiers des charges dans les appels d’offres et le suivi des régimes tout au long de la vie du contrat-des mesures transitoires à définir avec les types de couverture actuellement en vigueur-et la représentativité des employeurs dans la gouvernance des organismes d’assurance portant les régimes comme cela existe dans les accords de branche. Reste qu’en attendant de trancher, il faudra également faire preuve de pédagogie car, malgré la communication du ministère de la Transformation et de la Fonction publique, les populations concernées restent largement sous-informées des transformations en cours de leur protection sociale complémentaire. À en croire un sondage réalisé par la MFP en février dernier, seuls 31 % des agents avaient en effet entendu parler de la réforme… !

À partir du 1er janvier 2022, les employeurs des trois fonctions publiques pourront, sur le même modèle que le secteur privé, souscrire un contrat collectif obligatoire.

 

3 QUESTIONS À SERGE BRICHET, président de la Mutualité fonction publique (MFP)

« Si demain les retraités se retrouvent entre eux, le coût ne sera pas supportable »

Quelles conclusions tirez-vous de l’ordonnance parue le 17 février ?

Elle reste généraliste et dire qu’il s’agit du « grand soir » de la PSC des agents publics dépendra de ce qui sera arrêté par le travail réglementaire. L’ordonnance propose beaucoup de champs du possible, mais nous ne connaissons pas la définition concrète des garanties qui serviront d’assiette à la participation. Avec un contenu minimaliste, comme prévu dans la référence aux contrats solidaires et responsables, la participation restera symbolique par rapport aux besoins réels des agents publics.

On entend de nombreuses mutuelles de fonctionnaires s’inquiéter des risques de démutualisation que pourraient engendrer la réforme…

La plupart des agents publics, à travers les garanties de leur mutuelle de fonctionnaires, disposent d’une couverture santé et prévoyance. De même, ces mutuelles couvrent et organisent la solidarité entre les populations actives et retraitées. Si demain les retraités se retrouvent entre eux pour asseoir leurs tarifs santé et prévoyance, le coût ne sera pas supportable.
Dans le privé, les retraités ne font pas partie du périmètre de prise en charge.

Est-ce techniquement viable ?

Ma vision est bâtie sur l’expérience. À la mutuelle du ministère de l’Économie et des Finances, que j’ai présidée pendant plusieurs années, nous mutualisons 90 % de la population active et retraitée sur la base d’une adhésion volontaire. Nous assurons une prise en charge et une tarification acceptable pour tous. Aujourd’hui, 75 % des personnes de plus de 75 ans sont protégées par des mutuelles qui tentent de faire vivre ces mécanismes de solidarité. En mutualisant les risques, y compris dans un format facultatif, nous pouvons équilibrer avec des tarifs acceptables tant en santé qu’en prévoyance. Or, je ne vois rien dans les futurs dispositifs qui prévoit la prise en charge des retraités.