Manifestement, la nature du service public et l'impératif de travailler pour le bien commun, qui étaient autrefois au cœur du sens du travail des agents, semblent désormais insuffisants pour maintenir leur motivation. C'est une question urgente à laquelle les gestionnaires doivent faire face.

 

Est-ce que le sens du travail relève du domaine du management ? C’est l’une des interrogations soulevées lors d’un colloque organisé en début février par le Réseau des écoles de service public (RESP). Entre la nécessité de se conformer aux exigences et la recherche de la perfection lorsque des marges de manœuvre sont accordées, de nombreux agents publics expriment un sentiment de perte de sens dans leur travail. Mais les gestionnaires publics peuvent-ils jouer un rôle dans cette dynamique, alors que leur réalité professionnelle est souvent éloignée des aspirations affichées d’une administration prônant un management modernisé, valorisant l’initiative et la flexibilité organisationnelle ?

C’est une question complexe, car le sens du travail reste une notion théorique difficile à cerner et très personnelle. Selon Nicolas Fraix, responsable du département capitalisation et développement des connaissances à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), le sens du travail ne dépend pas seulement de notre relation avec notre travail, mais aussi de facteurs externes tels que nos relations avec autrui. « Bien souvent, le sens que l’on va mettre dans un travail n’est pas contenu dans le travail en lui-même mais si les circonstances sont mauvaises, cela peut peser sur le sens. »

Une déconnexion avec le terrain

Pour aborder cette question, la période de confinement strict et les ajustements qui ont été mis en place en réponse à la crise sanitaire sont souvent évoqués en exemple. « A cette période, nous avons été capables de lever toutes les contraintes, nous étions tournés vers un seul objectif, le résultat » se rappelle Marie Galloo-Parcot, directrice adjointe des ressources humaines du CNRS. Durant cette période, le sens de la mission des agents publics était particulièrement clair : sauver des vies et assurer la continuité du service public.

Olivier Borraz, directeur de recherche au CNRS spécialisé en sociologie des organisations, confirme ce constat. Il a mené différentes enquêtes dans les administrations pour évaluer leur adaptation au printemps 2020. De nombreuses administrations ont évoqué une période à la fois intense et difficile, mais également un sentiment d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel. Certaines tensions ont même disparu grâce à la levée des contraintes, permettant des collaborations entre des personnes qui étaient autrefois en compétition pour des ressources. Cependant, après la crise, les tensions ont ressurgi lorsque les administrations sont revenues à leur fonctionnement habituel. « Une chappe administrative s’est abattue sur les fonctionnaires, explique Olivier Borras. Après une période où il était possible d’accéder à des marges de manœuvre inédites tout en restant dans la performance, il a fallu revenir à un fonctionnement ordinaire, ce qui a suscité énormément de tensions. »

Bien que la perte de sens au travail ne soit pas spécifique au secteur public, les experts invités par le RESP se retrouvent sur le même diagnostic. Dans le public, les projets sont souvent menés sans consultation ni expérimentation préalable avec le personnel sur le terrain. Ce processus est jugé préjudiciable pour les équipes. « C’est très difficile de faire de véritables passages de témoin car on ne peut pas avoir deux personnes sur un même poste, même pendant une courte durée, pour des raisons budgétaires », illustre Marie Galloo-Parcot. C’est pourquoi l’administration encourage depuis plusieurs années la mise en place de temps d’échange sur le travail entre les managers et les équipes. « Les managers doivent avoir ces temps de régulation pour écouter ce que les agents ont à dire, les propositions du terrain, insiste Nicolas Fraix. Il faut prendre en compte, autant que faire se peut, le point de vue des agents sur leur propre travail. » Ce sont tout de même les mieux placés pour en parler sans jamais perdre de vue que le travail réel est souvent bien différent de ce que l’on peut trouver sur une fiche de poste. « Le réel est plus riche », assure Nicolas Fraix.

Des échelles temporelles variées

Dans ce contexte, il est évident que l’administration continue de promouvoir des managers qui évitent les vagues, alors que dans le discours, la prise de risques est encouragée. Cependant, la réalité quotidienne des managers publics ne leur permet pas toujours d’initier de telles actions. En effet, ils sont souvent confrontés à des activités complexes se déroulant sur différentes échelles de temps et d’espaces, et doivent jongler entre des projets à long terme et la résolution de problèmes immédiats. « Ils peuvent à la fois être amenés à participer à un projet destiné à modifier l’organisation d’une direction à très long terme et résoudre un problème du quotidien » constate Nicolas Fraix.

Cette multiplicité des échéances et des attentes place les managers dans une position délicate, les obligeant à jongler entre les exigences organisationnelles et leur propre bien-être. Malgré leur médiatisation parfois excessive, les managers publics ne sont pas omnipotents, comme le souligne Nicolas Fraix. « Une partie de nos organisations manquent de clarté sur la mission qu’elles confèrent à nos managers, remarque Philippe De Gestas, chargé de conférence notamment à l’INSP. Certains managers publics ont peur de leur collaborateurs, peur de ne pas être obéis, de ne pas être compris et des conséquences de leurs décisions ». Pour retrouver un sens au travail, les managers doivent d’abord s’engager dans cette voie avant de pouvoir influencer celui de leurs équipes.

 

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Acteurs Publics

Publié le 17/08/2023

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