Philippe Douillet est une vigie. Chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), il observe et analyse les risques et les fragilités issues du monde du travail dans le secteur privé comme dans la Fonction publique. Il propose aussi des solutions, des renversements de pensées ou d’habitudes. L’écouter est instructif et inspirant.

De nombreux travaux montrent le développement des problèmes de santé psychique et de tensions au travail.

Il y a plusieurs grandes causes à cela. Tout d’abord, le développement des activités de services qui, en elles-mêmes, suscitent de nouvelles formes de tensions et exigent un engagement psychique plus important. Ces activités nécessitent beaucoup d’adaptation et elles ont un résultat moins facilement évaluable car elles comportent une dimension relationnelle importante. Et par conséquent, l’investissement exigé par ces activités est plus complexe, plus impactant sur le plan cognitif et mental. Il y a aussi des formes d’intensification du travail ou d’injonctions paradoxales qui se sont développées et qui rendent les situations de travail plus difficiles à gérer.

Cette évolution est aussi valable dans la Fonction publique. Cette dimension relationnelle et d’engagement à l’égard de l’usager qui est à satisfaire est très importante. Les réformes et les transformations ont, elles aussi, suscité une intensification du travail car elles ont souvent été associées à des réductions de moyens et à des restrictions budgétaires. Surtout, tous ces processus de rationalisation bousculent le sens du travail des agents et les représentations de leur métier. Il devient plus difficile de construire du sens dans son activité professionnelle, ce qui est pourtant une condition de la santé psychique.

La motivation dans le secteur public est fortement liée à la qualité du service apportée au public.

Le fait de pouvoir servir le public dans des conditions satisfaisantes est un élément de motivation très fort pour les agents. Bien plus que dans d’autres secteurs. N’oublions pas non plus que la Fonction publique est en première ligne face à des situations de précarité avec des situations à fort enjeu social et émotionnel. Elle est également confrontée à des contextes de plus en plus complexes avec parfois des situations de violence nouvelle avec des menaces, des agressions physiques liées à son activité.
Je pense par exemple aux pompiers qui interviennent sur des incendies et qui reçoivent des jets de pierre. Non seulement il peut y avoir un risque pour leur propre sécurité mais c’est surtout une grave atteinte à l’image de la mission qu’ils portent en eux. Ils interviennent pour secourir et se retrouvent en situation de violence et d’opposition.

Processus de rationalisation, réformes successives, confrontation à la précarité sociale… tous ces phénomènes constituent un mélange qui fragilise et conduit à des situations de tensions fortes pour les agents entre “ce qu’ils voudraient faire’’ et “ce qu’ils n’arrivent plus à faire”. Les agents souffrent du décalage entre les objectifs de leur mission et les situations concrètes de réalisation de leur travail. Ce décalage crée alors des risques psychosociaux, des formes de retrait du travail, du burn-out, etc. Ce décalage impacte leur santé psychique.

Face au développement du stress et des tensions, la Fonction publique a engagé des actions significatives.

Les partenaires sociaux ont négocié un accord important en 2013 pour prendre en compte ces questions-là et essayer de les prévenir. Beaucoup d’initiatives ont été prises en termes de formation notamment. La prise de conscience de la nécessité d’agir a incontestablement progressé.
Les personnels d’encadrement, les membres de CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), les agents ont été formés sur ces questions-là. Mais s’il y a eu beaucoup de diagnostics qui ont été faits dans les structures publiques, la plupart des actions engagées ont été davantage curatives que préventives.
Concrètement, on prévoit des mesures de soins, des cellules d’alerte, des appuis psychologiques pour régler les problèmes quand ils apparaissent. Au mieux, on fait de la formation aux risques psychosociaux mais on a du mal à toucher aux questions d’organisation du travail en amont, causes majeures des tensions. Or, pour nous, ce sont ces causes organisationnelles qu’il faut viser en priorité. Nous devons construire de nouvelles organisations qui se préoccupent de la qualité de vie au travail.

Six causes de risques psychosociaux sont aujourd’hui identifiées et reconnues.

La première famille c’est l’intensité du travail et le temps de travail. Cela inclut aussi le fait d’être interrompu dans ses tâches sans arrêt ou bien la charge dans toutes ses dimensions physiques, cognitives, psychiques. La deuxième est liée aux exigences émotionnelles et pour n’évoquer qu’un seul exemple, le travail en soins palliatifs n’est pas une activité neutre. Troisième famille : le manque d’autonomie. Plus votre marge de manœuvre pour organiser votre travail est réduite, plus votre santé peut être affectée. Des études l’ont démontré, l’autonomie dans son travail est un facteur important qui aide à préserver sa santé. Et si mon travail est monotone et extrêmement répétitif, il devient un facteur aggravant pour la dégradation de la santé. Quatrième famille : la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail et, par voie de conséquence, le soutien social qui est très important. Le soutien social de mes collègues, de ma hiérarchie, de mon chef de service. Cinquième famille : la souffrance éthique. Je place dans mon travail un certain nombre de valeurs et d’engagements et je suis amené, compte tenu de mes conditions de travail, à faire des choses qui viennent contredire mes valeurs et mes engagements. C’est l’infirmière qui n’a pas assez de temps pour soigner, trop accaparée par d’autres tâches administratives. Sixième et dernière famille : l’insécurité de la situation de travail. C’est la question du changement permanent, du risque de perdre son emploi.

Ces six facteurs de risques psychosociaux sont utilisés aujourd’hui par tous les préventeurs et tous les chercheurs. Évidemment, la place de chacun d’eux n’est pas la même pour toutes les activités et métiers. On constate, par exemple, que les conflits éthiques sont importants dans les métiers de la santé ou les métiers de services liés à une relation sociale forte. Les exigences émotionnelles, quant à elles, se manifestent plus fortement dans les métiers où la relation avec le public intervient.

 

Entretien réalisé le 24 octobre 2018.

 

À propos de cet article

Source :
MFP Indispensables & fragiles Tome 1

Par MFP

Publié le 09/01/2019

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