Participante du colloque organisé à Nantes, le Dr Emmanuelle Bourin, cheffe du service médecine de prévention du centre interdépartemental de gestion (CIG) de la petite couronne d’Île-de-France (123 communes), souligne lors de ses interventions la méconnaissance du travail réel et de ses risques dans les collectivités territoriales. Pour elle, la santé au travail est invisible dans la Fonction publique.
Dans une interview donnée quelques jours après le colloque¹, elle déclare : “Beaucoup d’activités sont considérées comme basiques, alors qu’en réalité elles exigent des qualifications : l’entretien des locaux, le service des repas, la petite maintenance, les espaces verts, etc. Comme ces activités sont sous-estimées, leurs risques ne sont pas bien évalués. Pourtant, ils sont importants : exposition aux agents chimiques, manutention manuelle de charges, gestes répétés, station debout, etc. et ils ont des effets sur la santé et la sécurité au travail.”
Le Dr Bourin espérait que la crise sanitaire permettrait de mieux appréhender le travail réel et ses risques “en prenant en compte les agents infectieux auxquels sont par exemple exposés les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (atsem), ou les agents qui vont d’un domicile à un autre pour apporter leur repas à des personnes âgées ou leur prodiguer des soins”. Malheureusement, à son grand regret, aucun enseignement n’a été tiré. Elle rappelle d’ailleurs que “seules 51 % des collectivités ont un document d’évaluation des risques professionnels à jour, dont la moitié seulement prend en compte les risques psychosociaux !”
Des atteintes à la santé touchées par l’invisibilité
Des lacunes existent également dans les modalités de déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elles ne sont pas toujours connues. Mener des enquêtes pour identifier leurs causes est pourtant essentiel afin de prévenir les récidives. Malgré cet enjeu crucial, peu de collectivités y consacrent du temps.
Le Dr Bourin insiste aussi, concernant la reconnaissance des accidents du travail et maladies professionnelles, sur la complexité des dispositifs administratifs et statutaires pour les agents et les employeurs. “Il n’y a pas, dans le secteur public, d’exploitation statistique de données complètes ni au niveau local, ni au niveau national. Quand elles existent, ces données sont partielles et cumulent rarement celles des fonctionnaires et des contractuels. Enfin, il n’y a pas dans la Fonction publique de système équivalent à celui du Régime général, avec des cotisations des employeurs pour les accidents du travail et maladies professionnelles, liées au volume et à la gravité de ce qui a été déclaré à l’Assurance Maladie, ce qui permet à celle-ci d’agir sur les taux de cotisation et d’intervenir auprès des employeurs pour qu’ils engagent des actions fortes de prévention.”
Une fin annoncée du CHSCT qui inquiète fortement
Si le CHSCT devrait être remplacé par des formations spécialisées, la crainte que celles-ci ne soient jamais mises en place s’installe. L’inquiétude monte car cette instance de dialogue social reste le seul rempart pour préserver la santé et la sécurité au travail. “J’espérais qu’après le premier confinement, il y aurait une prise de conscience de ces risques, conclut le Dr Bourin. Parce que des gens ont bravé la peur pour aller au travail, ont été infectés par la Covid et certains sont morts. Mais cela n’a pas eu cet impact. Tous les employeurs ne prennent pas en compte cette évaluation des risques pour décider de mettre en place une formation spécialisée en matière de santé, sécurité et conditions de travail.”
¹ Gazette des communes du 19 décembre 2022