J’aime la dimension sportive de mon métier, l’adrénaline, être au contact de la nature.

Il n’y a pas de routine dans ce que je fais. Bien sûr, notre vie est souvent mise en jeu sur le terrain. Les premiers démontages que j’ai faits, j’avais seulement 1 ou 2 mois d’école derrière moi. Contre l’avis de mon père qui était élagueur, j’ai choisi ce métier. Je me suis battu pour y arriver. Il ne m’a jamais encouragé à suivre cette voie. Il avait trop peur pour moi.

Nous croisons régulièrement des riverains. Certains d’entre eux nous reprochent de faire n’importe quoi. Pour eux, on massacre les arbres. Au début, cette agressivité nous affectait mais maintenant cela nous fait presque rire. Avec certaines personnes, le dialogue est impossible. Heureusement, d’autres personnes nous remercient d’avoir sécurisé un lieu où les arbres menaçaient de tomber.

Manipuler la tronçonneuse est très risqué. Toutes les fois où j’ai été blessé, c’est avec elle.

Selon la coupe, l’essence, le vent… un arbre réagit différemment. Et puis on ne sait pas comment il est à l’intérieur. On peut penser qu’il va partir d’un côté, mais comme l’intérieur est pourri, il tombe dans l’autre sens. Il faut anticiper tout ça, essayer de voir les mouvements de l’arbre en montant.

Il faut toujours avoir l’œil. On a beau fermer les accès, il y a toujours des personnes qui passent quand même. Un jour, je me suis blessé à l’épaule pour attraper la tête d’un arbre parce que deux gamins sont passés en courant juste en dessous. Sans moi, ils étaient morts. Une autre fois, une voiture s’était garée sous mon arbre alors que le stationnement était interdit. Il a fallu que je fasse mon travail en composant avec cet obstacle et j’ai fini par me mettre un coup de tronçonneuse dans le doigt. J’ai vu mon gant pendre. Je me suis dit que le doigt était au fond. Heureusement, il n’a pas été sectionné mais j’ai dû être opéré.

D’autres collègues en ont eu moins de chance. L’un d’eux a passé sa main dans le broyeur. Il était très sportif, pompier volontaire aussi. Perdre sa main l’a brisé. Il a fait une grosse dépression. Il y a deux ans, j’avais un apprenti qui, en voulant aller aussi vite que nous, a coupé sans se mettre en sécurité. La tronçonneuse est revenue vers lui. Elle s’est prise dans son t-shirt, passant à 1 cm de sa carotide. Il s’en est sorti avec seulement 60 points de suture. J’ai vu l’incident depuis un autre arbre et là, je me suis dit qu’on allait devoir descendre un cadavre. Ces accidents nous rappellent à l’ordre.

Le goût du risque, cela peut être un avantage comme un inconvénient car les conséquences peuvent être graves voire fatales.

Parfois je travaille tout près des fils électriques. Sur le moment, je le prends comme un défi. Mais en descendant, je me dis que j’aurais pu refuser. Nous pouvons exercer notre droit de retrait. Il y a tant de fois où j’aurais dû le faire…

Comme tout le monde, nous devons travailler jusqu’à un peu plus de 60 ans. Nous ne sommes pas considérés comme un métier à risques. Nous n’avons aucun avantage ni en prime, ni en congé, ni en régime spécial de retraite. Je ne connais pas d’élagueur qui arrive à la retraite. Il y a deux cas de figure : la reconversion ou la blessure. Je connais plus de blessés que de reconvertis.

Tout le monde n’a pas les capacités de se reconvertir. Ces parcours de vie me servent d’exemples par rapport à mon évolution. Ceux qui m’ont pris sous leurs ailes quand j’ai commencé ce métier étaient les meilleurs grimpeurs et, même eux, à 45 ans ils doivent s’arrêter. Ils étaient des stars et maintenant ils sont devenus des boulets. Je suis très choqué de voir ce changement de regard sur eux, cette perte de statut.

En intégrant la Fonction publique, j’ai perdu en salaire mais je voulais me créer des opportunités. Je veux que mon évolution soit décidée et non subie. Je me laisse encore 5 ans de grimpe. Il vaut mieux arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Si c’est pour passer le reste de ma vie à prendre des cachets tous les matins… J’ai réussi le concours d’agent de maîtrise mais je suis encore sur le terrain. Prochainement, je passerai le concours de technicien.

Entretien réalisé 9 décembre 2019 – Mis à jour le 20 Mars 2023