La CGT des pompiers a récemment déposé une plainte contre X au Pôle santé publique du tribunal de Paris, soulignant les risques professionnels auxquels les pompiers français sont exposés, notamment le cancer dû aux suies et à l’amiante. Bien que le risque accru de cancer soit reconnu, les mesures de prévention se font attendre, incitant le syndicat à agir pour inciter l’État à prendre des mesures. Avec 250000 sapeurs-pompiers en France, dont 80 % de volontaires, le nombre annuel de décès dus à des maladies professionnelles n’est pas connu. Au travers de cette plainte c’est le manque de reconnaissance pour les pompiers souffrant de maladies, en particulier du cancer, par opposition à ceux qui meurent en opération. 

 

« Parce que mourir d’un cancer, pour le ministère, ce n’est pas classe, on ne reçoit pas de médaille pour ça », dénonce Sébastien Delavoux, responsable fédéral de la CGT des pompiers.

La plainte déposée par la CGT vise à mettre en lumière les manquements de l’État dans la protection des pompiers, soulignant des lacunes telles que des équipements insuffisants, des protocoles de nettoyage et de décontamination non appliqués, et un suivi médical quasi inexistant. « Il ne faut pas que les pompiers soient une nouvelle catégorie de travailleurs sacrifiés ! Ils sont aujourd’hui dans des conditions de travail archaïques », déplore Hélène Aveline, avocate qui défend le dossier. « Cette plainte vise à créer un électrochoc », renchérit son collègue, l’avocat Philippe De Castro, qui accompagne aussi la plainte. « Les risques professionnels des pompiers sont parfaitement connus, les préconisations pour leur prévention sont écrites, mais pas respectées. Il faut identifier les responsables », ajoute-t-il.

Les pompiers surexposés au risque de cancers

​À l’été 2022, des mégafeux font des ravages à travers la France. Alors que l’action des pompiers focalise l’attention médiatique, une autre actualité passe quasiment inaperçue. Le Centre international de recherche sur le cancer, l’agence spécialisée dans le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) réunit plus de vingt chercheurs de huit pays à Lyon, qui rendent publiques les résultats d’une étude sur l’exposition professionnelle de pompiers au cancer.

Pour la première fois, l’activité même de sapeur-pompier est classée comme cancérogène. Deux types de risques sont particulièrement identifiés : le mésothéliome (une tumeur maligne rare qui affecte les cellules la membrane protectrice qui recouvre la plupart des organes internes du corps dont la plèvre, le péritoine et le péricarde) et le cancer de la vessie.

Le risque de mésothéliome est 58 % plus élevé chez les pompiers que dans la population générale. Celui de développer un cancer de la vessie est 16 % plus important pour eux. Cinq autres types de cancer sont liés à l’exposition professionnelle des pompiers de manière «crédible», dit aussi ce rapport : cancers du côlon, de la prostate, du testicule, mélanome et lymphome non hodgkinien.

Des cagoules inefficaces comme équipement de protection

Les équipements de protection, tels que les cagoules, sont également pointés du doigt, avec des rapports antérieurs soulignant leur inefficacité.« Nos cagoules sont tout aussi efficaces que les filets à papillon pour attraper des électrons », résume Sébastien Delavoux. Cette cagoule est portée par les pompiers lors des feux de forêt. Car l’appareil de respiration autonome, porté lors des interventions sur les bâtiments, est alors inutilisable, du fait de son poids (une quinzaine de kilo) et de sa faible autonomie.

« Ces cagoules ne sont pas filtrantes, constatait la caisse de retraite des pompiers. En plus, une fois le feu éteint, des particules toxiques se sont déposées sur la peau, les cheveux, les vêtements », poursuivait l’étude. Ces particules « se retrouvent ensuite dans les véhicules, et jusqu’au domicile des pompiers ». D’où la nécessité de meilleurs protocoles de décontamination pour protéger les pompiers.

« Le chef de bureau vient un jour et me dit, “il y a un truc qui nous est tombé dessus, cela s’appelle la toxicité des fumées”, relatait Francis Magnolini, chef de section à la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur, lors du dernier congrès annuel de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers cet automne. Il disait que le rapport de 2017 avait « engendré une vraie révolution : Il a fallu élaborer des protocoles de déshabillage et de lavage, c’est quelque chose qui n’existait pas. »

« L’amiante, c’est l’arbre qui cache la forêt »

Les pompiers sont aussi particulièrement exposés aux substances toxiques qui se dégagent lors des incendies. Lorsqu’ils interviennent dans des bâtiments construits avant 1997, date d’interdiction de l’utilisation de l’amiante, les sapeurs-pompiers peuvent entrer en contact avec cette matière cancérigène. Les pompiers de Rouen ont ainsi été exposés à de l’amiante lors de l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019.

Dans une ville comme Saint-Nazaire, par exemple, 70% des bâtiments sont amiantés. Lorsqu’une plaque de fibrociment brûle, elle explose et libère des milliards de fibres cancérogènes. Pour autant, le suivi médical à la suite de ces expositions, comme à celle du plomb, lors de l’incendie de Notre-Dame en 2019 est pour les pompiers, au mieux insuffisant, au pire inexistant. Quant aux tenues utilisées, quand elles sont en contact avec l’amiante, elles sont définitivement contaminées. Et pourtant elles sont souvent réutilisées.

« Les pompiers travaillent dans des conditions inadmissibles », souligne Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et présidente de l’association Henri-Pézerat, qui accompagne les luttes sociales sur la santé des personnes en lien avec le travail et l’environnement.« Et l’amiante, c’est l’arbre qui cache la forêt, poursuit-elle.Il y a une synergie avec d’autres substances chimiques, notamment les suies, que l’on trouve sur tous types de feux, et qui sont extrêmement cancérogènes. » Ces suies posent d’autant plus problème qu’elles pénètrent par voie cutanée dans le corps, et plus facilement quand les pores sont dilatés par la chaleur. Or, expliquent les pompiers, leurs tenues de protection contre le feu ne filtrent pas ces suies.

Manque de suivi médical

Pour les syndicats l’absence de suivi médical tout au long de la carrière des sapeurs-pompiers, et même après est aussi une défaillance. À une question posée à l’Assemblée nationale, le 25 novembre, par le député communiste Yannick Monnet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin admettait que « les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires ne bénéficient pas, en France, du même suivi épidémiologique que dans d’autres pays. », Il ajoutait :« Il est évident que du fait de leurs interventions menées dans des conditions de plus en plus dangereuses et de leur exposition à des produits toxiques de plus en plus répandus chez nos concitoyens, ils sont amenés à contracter des maladies très graves, notamment des cancers. »

Les pompiers, attendent des actions concrètes pour leur santé. Maintenant qu’une plainte pour mise en danger de la vie d’autrui a été déposée, une enquête préliminaire sera menée. La CGT et les autres syndicats de pompiers pourraient alors se constituer partie civile, afin qu’un juge d’instruction soit nommé.

« Nous n’acceptons pas l’incompétence de nos employeurs qui refusent de nous protéger efficacement contre les risques connus depuis longtemps, identifiés par une cohorte d’études, et malheureusement attestés par le nombre de nos collègues qui déclarent tour à tour, cancers, maladies pulmonaires invalidantes », insistait Xavier Boy, président de la Fédération autonome des pompiers dans un courrier au ministre il y a quelques jours. Courrier resté sans réponse pour l’instant.

Pour aller plus loin :
www.francetvinfo.fr
www.basta.media.com