Avant les urgences, j’ai travaillé 5 ans en médecine générale.

J’ai souvent regretté de ne pas avoir le temps suffisant pour dialoguer avec les patients. Parmi les personnes que l’on soignait, j’en voyais qui ne recevaient aucune visite. J’aurais aimé avoir le temps de dialoguer avec elles. Parce qu’une personne qui a un état d’esprit positif se rétablit mieux. Je fais ce métier pour soigner, pour être utile, pour apporter mon aide. Et à l’hôpital, il faut souvent enchaîner les soins sans avoir le temps nécessaire pour cette écoute.

La fatigue ? Oui, elle est là. J’ai perdu mon rythme de sommeil et je n’arrive pas à m’endormir facilement. La fatigue est toujours présente à l’hôpital. Lorsque vous devez relever un patient qui est lourd, vous vous cassez le dos.

Je suis venue aux urgences par choix.

Je voulais me confronter à des situations variées qui nécessitent une prise en charge immédiate. J’ai choisi la nuit pour voir mes filles. Avant, je travaillais en journée et je les voyais peu. Maintenant, lorsque je travaille, elles dorment. Lorsque je rentre, elles se réveillent et je peux les voir avant qu’elles partent à l’école. Lorsque je me réveille, elles rentrent. On se voit plus, on se parle plus. Je les élève seule, c’est important d’avoir ce temps pour nous.

Bien sûr, à l’école, on nous a appris certaines techniques mais on n’a pas toujours le temps de les mettre en œuvre. Quand on a un malade par terre, on ne va pas lui dire : “Attendez Monsieur, je vais prendre le lève-malades“. On le relève tout de suite sans se soucier de soi. Alors oui, j’ai mal au dos. J’ai un peu plus de 30 ans et j’ai déjà mal au dos.

Je touche 1 600 € par mois. Je sais que c’est mieux que dans d’autres hôpitaux mais 1 600 € par mois pour se casser le dos, ce n’est pas beaucoup. L’État considère qu’on gagne assez mais franchement c’est compliqué. Je n’ai pas les moyens d’avoir une mutuelle pour mes filles et moi. Une mutuelle pour nous 3, ce serait 120 € par mois. Je ne peux pas la payer. J’ai de la chance, mes filles sont rarement malades. Malgré tout ça, je ne me vois pas changer de métier. Mes filles savent très bien qu’elles ne peuvent pas me demander d’arrêter. D’ailleurs, elles n’ont jamais pensé à le faire.

C’est étrange de penser que l’hôpital fait souffrir ses agents et que ceux-ci payent l’hôpital pour se faire soigner.

Récemment, j’ai consulté pour un mal de dos. Je suis venue aux urgences de l’hôpital où je travaille. Quelques jours après, j’ai reçu une facture de soins. Je l’ai payée. Ce n’était pas beaucoup mais c’est un peu choquant, non ? Ni les collègues, ni les syndicats ne m’ont parlé des dispositions de l’article 44 qui prévoit la gratuité des soins médicaux pour les agents de la Fonction publique hospitalière.

La fatigue mentale est aussi un sujet. Mais je suis quelqu’un qui encaisse. J’ai un mental costaud par rapport à la vie et au boulot. Pour que je craque, il faut vraiment en mettre une couche. On ne nous apprend pas le dévouement à l’école, on l’a en soi. Il ne faut pas faire ce métier si ce n’est pas une vocation.

Entretien réalisé le 13 décembre 2019.- Mis à jour le 11 Avril 2023