C’est une parole rare, presque inexistante, en raison de leur devoir de réserve. Sous couvert d’anonymat, des policiers témoignent de leurs difficultés et de leur profond désarroi face au manque d’effectifs dans leur commissariat. L’un travaille depuis plusieurs années en police secours. Ses missions sont de plus en plus nombreuses et variées, notamment dans le domaine médical. L’autre est affecté au service investigation, où la charge de travail ne cesse d’augmenter. Pour eux, la situation devient intenable.

 » On est souvent rappelés ou décalés pour faire des conduites dans les centres de rétention administratifs. Il y en a un à Rennes, mais il n’y a jamais de place, donc c’est Oissel. Vous avez trois heures et demie de route qui mobilisent trois fonctionnaires à l’aller, et trois heures et demie au retour qui mobilisent trois autres fonctionnaires. »

À cela s’ajoute une violence de plus en plus présente sur le terrain. Et parfois, il faut prioriser, faute de mieux.

 » Vous avez par exemple cinq appels au 17 en même temps. On vous appelle pour un tapage, pour un vol, pour une agression, pour un véhicule mal stationné et pour autre chose… On va forcément aller sur l’agression. « 

Intervenir auprès de mineurs peut aussi devenir un dilemme.

 » C’est ça qui est dramatique. Quand on intervient dans les maisons d’éducation pour les jeunes, on vous appelle pour une fille de 13 ans qui a un tesson de bouteille dans les mains et qui veut s’en prendre aux éducateurs, vous n’avez pas le choix, vous êtes obligé d’y aller. Mais en tant que flic, qu’est-ce que vous faites ? On ne va pas la plaquer au sol… c’est compliqué. « 

Le plus dur reste toutefois de rentrer chez soi sans pouvoir tout dire.

 » Ma femme me demande, quand je rentre, comment ça s’est passé. Donc j’édulcore beaucoup pour ne pas l’inquiéter, mais je pense qu’elle ressent notre désarroi. Nous, ce qu’on demande, c’est juste faire notre travail. « 

Face à cette réalité, il envisage de plus en plus une reconversion.

 

Au service investigation, même constat. Un enquêteur décrit un empilement incessant de dossiers.

 » Quand vous avez une centaine de dossiers en portefeuille, vous priorisez et vous n’êtes pas à l’abri de passer à côté de quelque chose. C’est ça qui est difficile à vivre. »

 » On ne peut pas faire plus que ce qu’on fait déjà, par manque de moyens humains. Quand un dossier sort, dix autres arrivent. C’est un peu un jour sans fin. « 

 » Notre devoir est d’assurer la protection de la population, mais en réalité, on pallie plutôt au manque d’effectif. Parfois, on demande même des volontaires pour assurer la permanence judiciaire de nuit. « 

Ce qui l’inquiète surtout, c’est la hausse constante de la délinquance.

 » Le plus pesant pour nous, c’est de voir que la délinquance augmente, tant au niveau des atteintes aux biens qu’aux personnes. On est usés. »