Travailler la nuit, il l’a longtemps vécu comme une vocation. Après deux décennies passées à veiller quand les autres dorment, à répondre aux urgences avec la même énergie qu’à ses débuts, ce policier de la brigade de nuit voit pourtant, à 44 ans, la fatigue s’installer. L’absence de vie sociale, un rythme qui malmène le corps et l’esprit, grignotent peu à peu la passion qui l’animait. Aujourd’hui, il raconte un quotidien qui, jour après jour, devient presque intenable.
» Depuis mes débuts dans la police nationale, j’ai choisi de travailler la nuit, par passion. J’aime lutter contre la délinquance, être dans l’action. Je ne suis pas policier pour mettre des PV, mais pour courir après des bandits. »
Pourtant, aujourd’hui, la lassitude s’installe.
» Pour la première fois en vingt ans, j’envisage de quitter la nuit, à contrecœur, non pas parce que je n’aime plus mon métier, mais parce que le rythme m’épuise. «
Le quotidien est réglé comme une mécanique qui use les corps et les esprits. À 44 ans, l’équation devient intenable :
« Je n’ai plus aucune vie sociale. Mon rythme de travail est de quatre jours d’activité pour deux jours de repos. ”
» Nos services commencent à 20 h 50 pour finir à 5 h.
En rentrant, je dors jusqu’à 12 h 30, d’un sommeil de jour qui n’est pas récupérateur. J’accumule la fatigue, le stress, et je constate bien que je perds de la tonicité.
C’est malheureux pour un policier de nuit… ”
À mesure que les nuits s’enchaînent, la vigilance se dégrade.
» Je vois des collègues qui manquent d’attention, qui s’endorment au volant ou pendant le service. Moi, pour l’instant, je surmonte, mais pour combien de temps ? «
Pour certains, la dérive est plus marquée, au point de devoir recourir à des médicaments pour trouver le sommeil.
La vie familiale souffre, elle aussi.
» Mon épouse travaille également de nuit, dans une autre administration. C’est pratique pour passer nos après-midi ensemble, mais nous ne passons qu’une ou deux soirées tous les deux par mois… Au petit bonheur de nos plannings. »
Avec certains de ses collègues de la brigade de nuit, il demande à obtenir un rythme de travail dit de vacation forte. Cela changerait sa vie, il pourrait ainsi passer ses week-ends en famille, profiter de ses enfants, retrouver une vie sociale…
Mais au-delà de la fatigue, c’est l’ambiance, désormais, qui fragilise le groupe.
» Cette lutte pour faire entendre nos revendications a cassé le service. Entre les collègues qui ne veulent pas se battre et une administration qui ne nous écoute pas, on se sent usé. «
*Le cycle « vacation forte » est une modalité de travail par roulements (journée/nuit) qui permet notamment aux agents de bénéficier d’un week-end sur deux de repos selon les conditions décrites. Si ce cycle est très apprécié par de nombreux agents (pour l’amélioration de l’équilibre vie privée / travail), il est beaucoup plus coûteux en effectifs pour l’administration.

