Face à l’urgence écologique, la Ville de Grenoble engage une réflexion inédite sur les métiers territoriaux. L’enquête « Bifurcations RH ! » pose les bases d’une transformation en profondeur des pratiques professionnelles du service public.
C’est une démarche rare dans la sphère publique. Depuis fin 2023, la Ville de Grenoble et son Centre communal d’action sociale (CCAS) mènent un travail de fond pour repenser les ressources humaines à l’aune de la transition écologique. Baptisée « Bifurcations RH ! », l’initiative repose sur un postulat fort : les services publics doivent s’adapter aux limites planétaires sans perdre de vue leur mission sociale. Menée entre novembre 2023 et septembre 2024, l’enquête s’appuie sur une approche ethnographique. Des agents de tous horizons ont été rencontrés pour faire émerger leurs réalités professionnelles, leurs valeurs, mais aussi leurs « attachements » – ces repères sensibles et concrets qui donnent du sens au travail au quotidien. Car au-delà des fiches de poste, c’est bien le travail réel que la démarche cherche à mettre en lumière : ses contraintes, ses marges de manœuvre, mais aussi ses potentiels de transformation. Dans cette perspective, les métiers « invisibles » – souvent peu valorisés – apparaissent comme des leviers puissants d’adaptation écologique, à condition de reconnaître leur utilité sociale et leur intelligence pratique.
L’enquête pointe également la position délicate des cadres intermédiaires, souvent pris entre les attentes politiques, les contraintes de gestion et les besoins du terrain. Pour accompagner la bifurcation, ils auront besoin d’espaces de réflexion, de formation, et d’un soutien institutionnel plus fort. La Ville envisage d’y répondre en créant une École des cadres et un Campus des transitions, lieux de transmission, de débat et de construction collective, afin d’expérimenter de nouvelles formes de gouvernance plus horizontales et transversales.
En creux, ce projet interroge les finalités mêmes de l’action publique. Quelles activités maintenir ou ralentir dans un contexte de sobriété ? Quelles missions développer pour répondre aux besoins essentiels ? Autant de questions politiques que la Ville de Grenoble souhaite traiter à travers une planification intégrant les limites écologiques et les ressources humaines disponibles. Ce travail est soutenu par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et mené en collaboration avec des chercheurs, des spécialistes de la bifurcation écologique et des consultants. Il marque une volonté assumée de sortir des logiques productivistes pour faire émerger un service public plus juste, plus sobre, et résolument tourné vers l’avenir.